Teachers In Training

Akron - Ohio

2007

 

 

 

Histoire de l'éducation aux Etats-Unis

 

L'éducation n'a pas toujours été, aux Etats-Unis, une des principales priorités nationales et les principes qui ont régi le système éducatif en général ont évolué au cours des 4 siècles qui nous séparent de la création des colonies sur la cote Est du continent. Pour les premiers colons, la religion devait être au cœur des enseignements alors que dans les années 1960, la lutte contre la ségrégation raciale mobilisait les énergies dans certains établissements outre-Atlantique.

Afin de comprendre les évolutions, les changements qui ont marqué l'Histoire de l'éducation américaine, il semble essentiel d'aborder chronologiquement les 5 étapes de cette Histoire. Il faut tout d'abord souligner les fondements, les bases du système éducatif, établi à l'époque coloniale puis aborder le début de la nation américaine, souligner les mutations nées de la période des " common schools " et de l'ère progressiste avant de conclure par l'étude des 80 derniers années afin de déceler les mutations qui ont façonné le système éducatif américain actuel.

La période coloniale (de 1600 environ a 1776) : Naissance de l'éducation aux Etats-Unis.

La majorité de la population des 13 colonies américaine était composée au 17e siècle d'immigrants européens qui apportèrent avec eux leurs cultures et leurs traditions. L'éducation n'était pas une priorité pour ces derniers car ils devaient lutter contre les indiens et tenter de survivre. Une des manières pour les pionniers de s'adapter à ce nouvel espace fut de recréer un environnement familier, principalement en plaçant au centre de leur communauté leurs valeurs religieuses qui régissaient leurs attitudes et indirectement la finalité de l'éducation des enfants, principalement ceux des élites. Ces derniers recevaient un enseignement scolaire dans le but principal de savoir lire la Bible, unique livre disponible dans certaines communautés outre-Atlantique au 17e siècle. La séparation des genres, à l'œuvre à l'époque, se faisait également sentir dans le domaine educatif car les hommes étaient formés afin de devenir des leaders religieux ou politiques, alors que les femmes devaient être capables de gérer les foyers.

La religion était au cœur des principes éducatifs américains (le puritanisme marqué du sceau du Calvinisme dans le Nord des colonies, l'Eglise d'Angleterre dans les états méridionaux). Malgré les différences doctrinales, tous agréaient sur le fait que l'enseignement devait mettre l'accent sur la peur de Dieu, sur la croyance en son omnipotence et sur l'autorité des Ecritures.

Parmi les colons américains, les Puritains de la Nouvelle Angleterre se sont très rapidement distingués par l'importance qu'ils accordaient à l'éducation au sein de leurs communautés. Malgré une interprétation très littérale de la Bible, les Puritains enseignaient aussi la littérature grecque classique, tels les textes de Cicéron, Homère ou Ovide, ainsi que des vers latins. La création de poèmes personnels, dont le sujet devait être religieux, était encouragée. L'incapacité à savoir lire ou écrire était considérée comme une tentative du Diable désireux d'éloigner les analphabètes des Ecritures saintes. Confirmant leur intérêt précoce pour l'éducation, ces derniers furent les premiers à ériger, au sein des 13 colonies, des établissements destinés à recevoir professeurs et élèves. Cree en 1645, la Roxbury Latin School, dans l'Etat du Massachusetts, première école créée par les Puritains, est aujourd'hui la plus ancienne école de l'Amérique du Nord. Elle précéda de 4 ans l'établissement de la première université américaine, Harvard.

Avant la Révolution américaine, très peu d'écoles existaient, et seuls les élèves issus des familles les plus aisées pouvaient se rendre dans les universités telles que Harvard ou Yale. Pour les enfants qui ne travaillaient pas avec leurs parents, entre 6 et 8 ans, ils étaient gardés par des " Dame Schools, " (une femme du quartier qui les occupaient) regroupant tous les niveaux. Le professeur, une religieuse très souvent, enseignait la lecture, l'écriture, la religion et pratiquait l'instruction morale tout en faisant cuisiner et coudre les enfants, dans un but très pratique.

Gravure représentant une Dame school pendant la période coloniale.

Ces derniers apprenaient les lettres de l'alphabet puis la lecture grâce à un hornbook. Cet instrument, un morceau de bois sur lequel était colle un parchemin recouvert d'un film de corne transparent, était déjà utilisé des le milieu du 15e siècle en Europe. Accroché à la ceinture ou autour du cou grâce a un trou (afin que les élèves ne le perdent pas), le hornbook permettait aux enfants d'apprendre les lettres, des combinaisons de sons puis des prières religieuses. Plus tard, le bois fut remplacé par de l'ivoire ou du cuir.

Jeune fille tenant un hornbook a la main. Gravure du 17e siècle.

L'importation en 1638 de la première presse aux Etats-Unis fut, pour la ville de Boston (au cœur des territoires puritains) le point de départ d'une période de faste intellectuel car elle était, en 1700, le deuxième plus important centre de publication dans l'empire britannique. Les Puritains furent les premiers à écrire des livres pour enfants. Le plus célèbre livre scolaire avant la révolution américaine fut le New England Prymer, imprimé en Nouvelle Angleterre par Benjamin Harris en 1690. Ce dernier conserva la tradition de coupler l'étude de l'alphabet et celle de la Bible car il introduisait chaque lettre grâce à une sentence religieuse qui rappelait les principes protestants tels que la peur du pêché, la punition divine ou encore le caractère inéluctable de la mort. Le New England Prymer fut utilisé par les élèves jusqu'au 19e siècle et plus de 5 millions de copies ont été vendu.

Apres avoir été éduqué pendant deux ans, de manière certes très basique, dans les " Dame schools ", les jeunes garçons étaient capable de lire. A l'âge de 9 ans, ces derniers n'avaient que trois possibilités. Ils pouvaient entrer dans des Latin Schools, se préparant alors à intégrer l'Université qui, a cette époque ne donnait que des cours pour les futurs pasteurs. Le second choix, le plus souvent imposé par la situation financière de la famille, était de recevoir un enseignement à la maison, en même temps qu'ils aidaient leur père. La troisième possibilité était celle de l'apprentissage. Le jeune apprenti vivait avec son maitre et était soumis à ses volontés. Les différentes tentatives législatives afin d'améliorer les difficiles conditions de vie des employés ne firent que peu d'effets. Le maitre faisait part à son apprenti de ses connaissances et en 7 ans, ce dernier devait être capable de voler de ses propres ailes. Les plus célèbres apprentis aux Etats-Unis furent Benjamin Franklin, Andrew Johnson et Paul Révère [1].

Dans les colonies du Nord, les Etats furent très souvent au cœur de ce processus de développement de l'éducation, qu'ils instituèrent par le vote de très nombreuses lois. Dans les colonies du Sud, l'éducation était considérée comme un domaine relevant de la sphère privée, de la famille uniquement. Les propriétaires des plantations eurent très rapidement le désir de créer des universités dans le but de reproduire une élite sociale et économique capable de diriger les Etats tout en maintenant la structure sociétale et les traditions du Sud [2].

Création d'une nouvelle nation. Quels impacts sur l'éducation aux Etats-Unis? (1776- 1840 environ)

La Révolution Américaine permit aux colons du Nouveau Monde de gagner leur indépendance, de se dégager progressivement de la tutelle anglaise (tutelle qui était économique, politique mais aussi intellectuelle et scolaire) et ainsi de commencer la construction d'une nouvelle nation, les Etats-Unis. La réflexion des citoyens et des pédagogues américains concernant l'école et l'éducation se sont inscrit dans cette double volonté : mettre en valeur leur différence par rapport au Vieux Continent et construire une nouvelle entité nationale en fédérant les différentes communautés par la diffusion de nouvelles valeurs, de nouvelles structures de pensée. Néanmoins, les principes fondateurs du système scolaire restaient en partie inspirés par l'Angleterre: l'apprentissage de la lecture et de l'écriture avaient pour objectif de lire la Bible, permettent ainsi aux élèves de sauver leurs âmes. De plus, la préservation de l'ordre social basé et légitimé par des préceptes religieux resta un but essentiel de l'école.

Mais, au cours de cette période de construction de l'identité nationale, les objectifs de l'éducation évoluèrent progressivement. Tout au long de la période révolutionnaire, les Américains prirent conscience que le patriotisme et l'amour du pays pouvaient être enseignés, renforçant alors l'unité au sein de la nation américaine

Une des principales figures politiques qui émergea de cette période de construction de l'identité nationale fut le Président Thomas Jefferson.

Né en Virginie en 1743, il a marqué les Etats-Unis par sa carrière en temps que président de la jeune République. Favorable à une extension des bénéfices du système scolaire à une large portion de la population, il fut un des promoteurs d'une nouvelle conception de l'éducation expliquant à ses concitoyens qu' " une société libre ne peut pas survivre sans former des personnes éduquées. " [3] Siégeant à l'Assemblée de Virginie, il tenta de faire adopter une loi qui aurait assuré à tous les élèves entrant à l'école primaire une éducation gratuite grâce a un système de taxes. Ce projet de loi fut rejeté par la très conservatrice assemblée de Virginie. Apres sa présidence, il se dévoua à la création de l'University of Virginia, a Charlottesville. A cette époque, obtenir une charte pour organiser une université était chose aisée et de nombreux " colleges " fleurirent au gré de l'avancée de colons. Les effectifs étaient alors très restreints (moins de 200 étudiants à Yale dans les années 1830) et la religion restait au cœur du système universitaire car le président était toujours un religieux et les étudiants devaient être présents aux offices quotidiens. Cependant, dans l'esprit de Jefferson, l'université de Virginie devait promouvoir auprès des élèves des idées nouvelles au sujet du gouvernement, de l'égalité, dans un Sud fortement marqué par l'esclavagisme et la ségrégation. Ainsi, il refusa que l'université enseigne la théologie et privilégia un système scolaire qui devait favoriser la libre réflexion. Les différents besoins des élèves furent pris en compte en proposant à ces derniers de choisir leurs cours, tout en faisant de la liberté d'expression et de réflexion la pierre angulaire du système universitaire américain contemporain [4].

Cette évolution dans la perception de l'enseignement supérieur américain fut accélérée par la controverse qui se développa dans l'université de Yale en 1828 concernant le contenu des programmes. Certains professeurs espéraient les modifier de manière a mieux préparer les étudiants à affronter le monde extérieur, dans lequel se développaient la révolution industrielle et l'agriculture. L'université, selon eux, devait alors avoir une vocation professionnelle en intégrant des matières telles la finance, l'agronomie ou la gestion des industries. Face à eux, se dressaient les partisans du conservatisme s'arcboutant sur le maintien de programmes traditionnels dont la source était principalement l'étude du Grec et du Latin. Les doyens de l'université, qui furent les vainqueurs de cette controverse, expliquèrent, dans le rapport de Yale rédigée a cette occasion, que " seule [l'étude des] langues classiques peut fournir a l'esprit humain la discipline et les occupations nécessaires. " [5] Cette victoire des conservateurs n'empêcha pas les idées des partisans d'une professionnalisation de l'université d'influencer la transformation progressive des programmes des études supérieures [6].

Le second pilier de cette construction d'une nouvelle identité différente des racines anglaise fut Noah Webster. Lexicographe de renom, maitrisant une vingtaine de langues dont l'Hébreux et l'Arabe, le jeune homme, né en 1758 dans le Connecticut, a accompli ses études à l'université de Yale. Il a le premier souligné la nécessité pour les élèves de posséder des livres rédigés dans un anglais américanisé et non plus en langue anglaise traditionnelle. Officialisant cette nouvelle langue qu'était l'américain, il rédigea en 1782 un livre codifiant la prononciation américaine des mots, le " Blue-backed Speller ", officiellement appelé " the American Spelling Book. " L'autre contribution de Noah Webster dans le domaine de l'éducation américaine fut la publication en 1828, après de très longues années de travail, du premier dictionnaire en langue américaine. Le " American Dictionary of the English Language " fut adopté, en temps que standard national, par le Congres en 1831. Ces deux ouvrages majeurs dans l'Histoire de l'éducation outre-Atlantique aux premières heures de la nation américaine, ont renforcé la volonté des patriotes de créer une nouvelle communauté en faisant émerger des structures mentales et intellectuelles encore à l'ordre du jour aujourd'hui [7].

Néanmoins, les théories sur l'éducation des leaders politiques et intellectuels tels que Noah ou Benjamin Rush, partisans d'une éducation pour la majorité de la population et de programmes nationaux en accord avec la Bible, ne doivent pas cacher les réalités de l'époque. L'industrie commençait tout juste à essaimer dans cette nouvelle nation et l'éducation des masses n'était pas la priorité des industriels. Les enfants furent très souvent les victimes de ce tournant économique. Des l'âge de 6 ans, ces derniers devaient travailler 12 heures par jour, 6 jours par semaine, sans prendre en compte leur développement physique ni même mental ou émotionnel. La seule éducation que les enfants recevaient étaient professionnelle, les garçons devenant apprentis et les filles entrant en domesticité dans des familles plus aisées. A cette époque, l'éducation des plus pauvres étaient perçue par la classe supérieure comme un danger potentiel, comme un acte subversif. Les plus éduqués des ouvriers risquaient de vouloir enfreindre les barrières sociales et menacer l'ordre sociétal. Le quaker anglais Joseph Lancaster tenta au début du 19e siècle de mettre un terme à l'absence d'éducation des enfants tout en respectant le système social. L'idée principale de ce pédagogue fut de rassembler les élèves dans de grandes salles, sous la direction d'un professeur (plus ou moins compétent) et de faire en sorte que les élèves les plus avancés partagent leur savoir avec ceux qui le sont moins. Ces idées furent diffusées aux Etats-Unis grâce à ses voyages au début du siècle. En 1808, une Society for Promoting the Lancasterian System for the Education of the Poor fut créée. Des contrôleurs ("monitors" en anglais) gardaient sous leur contrôle les élèves, d'ou le nom des écoles, les " monitorial schools " (cf gravure ci-dessous).

Malgré le fait que le système promu par Joseph Lancaster ne rencontra pas le succès escompté, cette expérience permit a l'opinion publique de comprendre la nécessité de confier les enfants a des pédagogues compétents et au sein de groupes d'élèves moins nombreux [8].

Ainsi, au cours de cette période de transition vers un nouveau système politique et intellectuel, l'école et le système éducatif tout entier furent des piliers essentiels de cette création d'une identité nationale. Ils permirent de consolider cette émancipation par rapport aux normes anglaises car nombreux furent ceux qui, a cette époque, commencèrent a employer des termes avec un sens américain, a parler un langage national, bâtissant progressivement une culture et des références communes aux Etats-Unis.

Les " common schools " américaines, 1800- 1840

Les premières décades du 19e siècle furent le théâtre de nombreuses mutations majeures dans l'histoire de l'éducation américaine, telles celles engendrées par la controverse catholique ou encore par la " généralisation " de l'éducation de ceux qui furent longtemps des esclaves et qui sont encore aujourd'hui a la marge de la société américaine, la population noire.

Un des événements majeurs au cours de cette période historique fut la mise en place des " Common Schools, " écoles publiques financées par les Etats (et donc gratuites pour les élèves, évolution majeure car jusque dans les années 1840, la majorité des écoles continuaient d'être financées et gérées de manière privée). Les premières écoles publiques furent crées vers la fin des années 1830 dans l'état du Massachussetts et accueillaient les élèves de l'école primaire jusqu'à la fin du collège (du Kindergardem jusqu'au 8th grade). Les motivations des dirigeants politiques d'investir financièrement dans les écoles publiques pour tous les enfants furent doubles. Aussi étrange que cela puisse sembler pour des esprits français, laïcisés et enseignants dans des lycées 'publiques', le premier but de cette éducation était le désir de maintenir les enfants au sein d'un enseignement religieux afin de perpétuer l'existence d'une foule dévote et dont le mode de vie était réglementé par des valeurs morales chrétiennes. La seconde raison fut le souci d'éduquer le peuple américain dans le but de renforcer la nation et la démocratie. Au début du 19e siècle, dans un contexte de " chaos social " provoqué par l'industrialisation et l'immigration, les élites prirent conscience qu'un gouvernement représentatif risquait d'échouer aux Etats-Unis en temps que régime politique à moins que l'Etat ne prenne ses responsabilités en éduquant tous les enfants américains [9].

Conscient de cette menace, Horace Mann fut le premier secrétaire du Bureau de l'Education de l'Etat du Massachussetts de 1837 à 1848. Il présida la mise en place de la première école publique des Etats-Unis à Lexington en 1839. Il fut un ardent partisan d'un enrichissement des programmes et de l'amélioration des bâtiments scolaires, gagnant alors le surnom de " Father of American Public Education. " Selon lui, l'école avait la capacité de créer et de renforcer ensuite l'harmonie sociale et l'identité nationale.

Horace Mann

Les théories de l'éducation étaient, à cette époque, influencées par les méthodes éducatives prussiennes et diffusées par Pestalozzi. Pour ce pédagogue suisse, l'enseignement devait aider l'élève à faire émerger des connaissances qu'il possédait déjà, et mettre l'accent sur le développement harmonieux des facultés personnelles afin de créer une personnalité complète et équilibrée. La nature humaine est alors reconnue comme un tout et, des le plus jeune âge, l'enfant doit être porté par le professeur afin de l'aider à se réaliser [10].

Influences par les théories de Pestalozzi et par l'attention nouvelle portée aux jeunes enfants, Friedrich Froebel, développa la première école maternelle (kindergarden) en Allemagne en 1837. Selon lui, les enfants ont besoin de jouer pour apprendre et la maternelle se doit d'être un lieu social dans lequel les jeunes élèves puissent grandir et s'épanouir grâce à une constante interaction avec leurs camarades. Ces théories ont été reprises aux Etats-Unis par Margarethe Schurz in 1856 qui créa une des premières écoles maternelles américaines accueillant des élèves entre 3 et 7 ans a Watertown dans le Wisconsin puis par Elizabeth Peabody a Boston en 1873.

Au même moment, la situation des écoles publiques était particulièrement dramatique. Les élèves avaient pour professeurs les personnes qui étaient alors disponibles car le métier d'enseignant n'était pas rendu très attractif par les 30 dollars de salaire mensuel. Les enfants n'étaient généralement présents que 4 mois dans l'année, le reste du temps étant occupé par les travaux des champs. La salle de classe était une pièce unique (one-room school) regroupant des élèves de 4 à 22 ans. Le programme était basé sur les connaissances du professeur et ce dernier évaluait les élèves sur leurs capacités de mémorisation et de récitation. Il faut cependant noter que, bien que le nombre d'écoles publiques augmenta au cours du 19e siècle, seulement 7 pour cent des enfants se rendaient à l'école a la fin du siècle.

Cependant, la situation de l'institution scolaire s'améliora après la Guerre Civile américaine (1861-1865). Les différents Etats commencèrent à prendre en charge l'éducation, organisèrent des Départements de l'Education et des districts scolaires. Il devient obligatoire pour les villes et les villages d'avoir au moins une école publique financée par les taxes locales, dans le but d'établir une égalité entre les élèves [11]. Les besoins spécifiques des élèves en fonction de leur âge commencèrent à être pris en compte, tout comme la nécessité d'être régulièrement présent en cours fut reconnu. De plus, des lois furent adoptées rendant la présence en classe obligatoire au moins 3 mois par an des 1852 dans l'Etat du Massachusetts pour les enfants âgées de 8 à 14 ans [12]. Les professeurs, en majorité des femmes, se perçurent de plus en plus comme des professionnels et prirent conscience de la nécessite d'améliorer leurs stratégies d'enseignement. Les Etats introduisirent une certification pour les professeurs, mettant l'accent sur la connaissance des pratiques pédagogiques. Un Département consacré à l'Education (College of Education) fut créé a la fin du 19e siècle à l'université de Michigan, couronnant cette évolution des mentalités, cette professionnalisation du métier d'enseignant aux Etats-Unis [13]. Suite a la Guerre Civile américaine et au très grand nombre de morts qu'elle engendra, la place des femmes employées comme enseignantes augmenta de façon très rapide. Néanmoins, ces dernières devaient quitter leur emploi des qu'elles étaient mariées car les hommes craignaient qu'elles ne puissent s'occuper des élèves et de leur foyer en même temps.

Alors que s'étoffait le réseau des écoles publiques au début du 19e siècle, les Etats-Unis furent le théâtre de la " controverse catholique " qui marqua profondément l'Histoire de l'éducation américaine et ses rapports avec la religion. L'industrialisation progressive des Etats-Unis fut perçue par de très nombreux immigrants (catholiques pour la plupart) comme une opportunité afin d'améliorer ou de changer de vie. Entre 1830 et 1850, plus d'un million d'immigrants débarquèrent chaque année sur la cote est, s'installant principalement dans les espaces urbanisés, plus propice a la recherche d'un travail et d'un logement. Ces Catholiques, alors en minorité, se trouvaient propulsés dans un univers complètement contrôlé et administré par les Protestants. Les nouveaux arrivants devaient affronter une discrimination anticatholique quotidienne. L'arrivée de très nombreux catholiques était vécue comme une invasion et alimentait les rumeurs selon lesquelles le Pape avait décidé d'envoyer aux Etats-Unis un très grand nombre de fideles afin de mettre un terme à la suprématie protestante. La caricature ci-dessous est un exemple de l'hostilité des protestants. Ces événements, ces oppositions religieuses portent aux Etats-Unis le nom de " Catholic Issue " et marquèrent le système éducatif et ses rapports avec la religion en général car les Catholiques furent forcés de créer un système scolaire parallèle qui répondait a leurs attentes religieuses et diffusaient leurs valeurs morales.

Caricature protestante du 19e siècle décrivant le Pape sous un aspect diabolique.

Au 19e siècle, la religion protestante et les valeurs qu'elle diffuse sont un pilier du système de valeur américain, et le système scolaire reflétait cette suprématie du protestantisme car les écoles publiques enseignaient les valeurs protestantes et utilisaient la traduction de la Bible appelée " King James Bible ", a laquelle les Catholiques étaient opposés. De plus, certains districts interdirent aux élèves catholiques d'être présent à l'école s'ils refusaient de lire la traduction protestante de la Bible. Les catholiques se trouvèrent confrontés a un dilemme : soit envoyer leurs enfants dans les écoles protestantes et risquer de les voir se convertir au protestantisme, soit refuser cette suprématie et craindre de ne plus pouvoir éduquer leurs enfants. Pour les catholiques, cette primauté représentait un danger car ils craignaient que leurs enfants ne perdent leur foi en l'église catholique. Déterminé à maintenir l'unité de l'Eglise catholique, la mise en place d'un système scolaire catholique fut perçue comme une nécessité, mais le problème de l'argent représentait une barrière économique.

Certains gouverneurs, comme William H. Seward dans la ville de New York, acceptèrent que les catholiques utilisent les deniers publics afin de financer leurs écoles. Mais craignant un affaiblissement de la religion majoritaire, les journaux et les églises protestantes firent pression afin de s'opposer à ces mesures. Les protestations ne furent pas toujours pacifiques. A Philadelphie, des émeutes eurent lieu, des églises catholiques furent mises à sac, provoquant la mort de plusieurs personnes. Ces événements exacerbèrent les discriminations contre la communauté catholique qui se regroupa autour de son réseau d'écoles catholiques. La " Catholic Issue " et les tensions qu'elle provoqua permettent de comprendre la présence, aujourd'hui aux Etats-Unis, du vaste réseau d'écoles catholiques [14].

Une autre minorité tenta au 19e siècle d'organiser son propre système éducatif, les " African-Americans. " La perception que les Américains avaient des populations noires variaient radicalement en fonction de la localisation géographique. Dans le Nord, l'esclavage a été aboli avant la Guerre Civile et les Noirs étaient plus ou moins intégrés politiquement, sinon économiquement. Dans le Sud, au contraire, les valeurs ségrégationnistes, la présence du Ku Klux Klan et les violences contre les Noirs qui tentaient de bousculer les barrières raciales perpétuaient un climat de tension et de haine, maintenant les Noirs dans une situation d'infériorité. Eduquer les anciens esclaves était interdit. Deux figures, W.E.B. Du Bois et Booker T. Washington, tentèrent de promouvoir un système éducatif qui puisse aider les Noirs et mettre un terme a cette discrimination. Néanmoins, les deux hommes ne s'accordaient pas sur la manière de mener ce combat, leurs divisions reflétant les tensions au sein de la communauté noire-américaine.

Les deux hommes n'étaient pas issus du même milieu. Ainsi, W.E.D Dubois est ne dans une famille aisée. Il fut le premier noir américain à recevoir un titre de docteur de l'université d'Harvard. Fondateur de la N.A.A.C.P., ligue de protection des Noirs aux Etats-Unis, il se consacra également a la littérature, devenant un écrivain très prolifique. Tout d'abord partisan des thèses de Booker T. Washington, il se radicalisa pour finir sa vie en temps que communiste au Ghana. A l'inverse, Booker T. Washington est né esclave en Virginie. Travaillant beaucoup après sa libération, il fut engagé comme directeur du Tuskegee Institue en 1881. Enseignant à d'anciens esclaves, il mettait l'accent sur l'importance de la professionnalisation plutôt que sur des idées ou des théories abstraites. Selon Washington, les Noirs Américains allaient devenir économiquement indispensable grâce à leurs qualifications, ce qui leur ouvrirait automatiquement les portes de la société américaine blanche. Confirmant les théories de Washington, une bourgeoisie noire, travaillant dans les banques, les administrations ou dirigeant un commerce, émergea progressivement à partir du milieu du 19e siècle, sans toutefois être mieux intégrée. Cependant, Washington fut critiqué pour travailler trop étroitement avec des leaders blancs, pour multiplier les compromis, mais sa vision pragmatique de la société lui permit de s'adapter aux changements de cette dernière.

W.E.D Dubois s'opposa à cette vision pragmatique de l'éducation, préférant lutter de manière radicale afin d'atteindre une totale égalité. Il accusait Washington maintenir les Noirs dans des métiers manuels alors qu'il désirait voir les plus talentueux suivre le même cursus universitaire que les Blancs afin de devenir des leaders dans leur communauté.

W.E.D Dubois

Booker T. Washington

Ainsi, cette opposition doctrinale et théorique sur les finalités de l'éducation au sein de la communauté noire-américaine traduisait les divisions au cœur même de la population noire. Fallait-il faire des compromis en prenant le risque de perdre de vue le but même de la lutte ou fallait-il ne se préoccuper que du résultat, une totale égalité, sans prêter réellement attention a la manière d'atteindre cet objectif. Si Dubois ne sut pas s'adapter aux changements de la société et s'exila en Afrique, les compromis de Washington eurent pour conséquence de ralentir très sérieusement la lutte pour l'égalité dans le sud du pays. Néanmoins, les deux leaders ont favorisé un processus de prise de conscience au sein de la communauté noire-américaine que la lutte pour les droits civiques des années 1960 tenta de conclure en mettant fin à la ségrégation [15].

L'héritage de la période des " Common Schools " est donc encore très présent aujourd'hui. Outre la mise en place des écoles maternelles et l'amélioration progressive de la préparation des professeurs, le système éducatif du clarifier sa position par rapport a la religion, obligeant certaines communautés, comme c'est encore le cas aux Etats-Unis, a mettre en place leurs propres écoles. L'éducation des minorités fut également un sujet sensible. Ainsi les femmes, grâce à des figures historiques comme Mary Lyon, gagnèrent la possibilité d'accéder à une éducation. Tout comme pour les Noirs américains, l'éducation fut au cœur des luttes contre les ségrégations et les discriminations, en faveur de l'égalité.

La période progressiste : L'école au service de la nation (des années 1840 aux années 1920)

Le système éducatif américain poursuit son évolution a la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle sous la pression a la fois de groupes tels que les industriels, mais aussi afin de répondre aux besoins de plus en plus pressant des immigrants et des nouveaux élèves toujours plus nombreux a intégrer les établissements américains. Cette période porte le nom de progressive car elle fut le théâtre de très nombreuses lois sociales, protégeant ou aidant les ouvriers, améliorant le quotidien des plus pauvres. La présidence de Theodore Roosevelt (1901-1909) fut déterminante, accompagne par le travail d'enquête de journalistes investiguant les scandales politiques et/ou, les muckrakers. C'est également à cette époque que la pédagogie est renouvelée grâce aux travaux du philosophe John Dewey, dont l'influence est encore notable aujourd'hui. Ce dernier insista sur la place essentielle de l'école dans la formation d'une société démocratique. Les nouvelles pratiques éducatives laissaient plus de liberté aux élèves, multipliant les activités. Les professeurs progressistes préféraient faire des travaux informelles et en groupe, permettant plus de discussion.

John Dewey

L'influence de John Dewey reste également importante dans le domaine syndical car il fut un des fondateurs de l'Amercian Federation Teacher (A.F.T.) en 1916. Ce dernier critiquait fortement la manière dont les décisions étaient prises dans le domaine éducatif, car les professeurs en étaient exclus alors qu'ils étaient au cœur du système. Partisan d'un système démocratique au sein duquel la discussion prévalait, il expliqua à Robert Westbrook, dans un article paru en aout 1922 dans l'American Journal of Education, que le système scolaire pouvait être amélioré non " par un expert qui imposerait les méthodes éducatives et les sujets à enseigner a un corps passif de professeurs mais par l'adoption d'initiatives intellectuelles, de discussion et de décision prises par l'ensemble des membres des écoles. " [16] Aujourd'hui encore, l'AFT, dont le slogan est "Democracy in Education and Education for Democracy," continue de promouvoir la professionnalisation de l'enseignement, la sécurité de l'emploi, de meilleures conditions de travail ainsi que de protéger les droits des membres de l'institution éducative à travers la négociation collective.

Au cours des 50 ans qui séparent les années 1890 de la première Guerre Mondiale, les Etats-Unis accueillirent plus d'immigrants qu'au long de toute leur histoire, plus d'un million chaque année débarquaient espérant profiter des opportunités offertes par l'industrialisation croissante de la cote Est (prés d'un habitant sur deux a New York était né a l'étranger). Le graphique ci-dessous traduit ces évolutions de l'immigration aux Etats-Unis :

Désirant profiter de cet afflux massif de travailleurs peu qualifies et peu couteux, l'influence des industries et des systèmes de pensées relatives à ce secteur économique se firent de plus en plus pressante au sein du système scolaire. Ainsi, certains théoriciens comme Friedrich Winslow Taylor développèrent le concept du " taylorisme, " soulignant selon lui l'importance de l'efficacité, de la rationalité au sein des entreprises afin d'augmenter leur rentabilité a un moindre cout tout en utilisant le moins de matériel possible. Cet état d'esprit fut adopté par certains intellectuels et par les institutions éducatives. Selon l'historien de la fin du siècle Elwood Cubberly, l'école devait répondre aux mêmes critères que les usines, qu'elles devaient prendre pour exemple: productivité et efficacité à un moindre cout. Les professeurs devaient transformer les élèves en force de travail compatible avec les besoins du début du 20e siècle.

Une majorité des parents immigrés, très souvent pauvres lors de leur arrivée, préféraient envoyer leurs enfants travailler a l'usine plutôt qu'a l'école afin qu'ils participent a la survie de la famille procurant ainsi une source de revenu complémentaire. Le travail des enfants et les dérives qui en ont résulté, illustrée par la photographie ci-dessous révoltèrent certains hommes politiques qui adoptèrent, dans leurs Etats respectifs, des mesures telles que les " Compulsory Attendance laws " forçant les enfants à être présent a l'école [17].

Jeune garçon travaillant dans une usine, début du 19e siècle.

Dans l'esprit de certains Américains de la fin du 19e siècle tel que l'historien Elwood Cubberly, l'école avait pour mission d'intégrer les enfants d'immigrés, de leur permettre (de leur imposer…) de s'adapter au changement culturel et spatial (car de très nombreux expatriés étaient originaires des campagnes et les grandes villes américaines leur semblait au départ un univers inconnu) tout en préservant les caractéristiques originelles des Etats-Unis, c'est-à-dire un pays anglophone dans sa langue et ses références. L'enseignement (grâce a l'apprentissage de la langue [aspect essentiel, car certains enfants traduisaient pour les parents] et des valeurs américaines) était perçu comme un ciment, un lien national permettant symboliquement de renforcer la nation. Néanmoins, il faut souligner que cette assimilation n'était pas source d'enrichissement pour les " Américains de souche " car elle ne se faisait que dans un sens, aggravée par la volonté que les immigrés rompent totalement avec les racines afin de s'intégrer dans le Salad Bowl americain. La photographie ci-dessous illustre les conditions dans lesquelles ces enfants apprenaient, dans un quartier de New York (sans qu'il ne faille toute fois généraliser a partir de ce simple exemple). La salle étant très exigüe, la maitresse doit faire cours en restant très proche du tableau et les élèves n'ont que peu de place entre eux [18].

Classe dans le quartier Lower East Side a New York.

En parallèle, s'appuyant sur les théories du taylorisme et désirant " rentabiliser " la force de travail des immigrés, l'éducation manuelle se développa aux Etats-Unis. Présente des les origines de la nation américaine, cette formation était assurée par la famille ou par les corps de métiers eux-mêmes formant leurs apprentis. A la fin du 18e siècle, certains pédagogues tel le suisse Johann Heinrich Pestalozzi (1746-1827) se firent les partisans d'un système éducatif alliant un enseignement général, traditionnel à une éducation manuelle. A travers l'enseignement du travail du bois ou du métal, le but était d'améliorer la perception, le sens de l'observation, le jugement pratique, la dextérité et le touché des élèves. Les enseignants devaient souligner le pouvoir de réaliser un objet plutôt que simplement penser ou parler au sujet de ces mêmes objets. Néanmoins, les élèves n'étaient pas spécifiquement préparés à un métier car ces derniers devaient être capable d'adapter leurs connaissances au tout type d'outil. En complément des enseignements traditionnels, cet entrainement manuel avait pour objectif de permettre aux élèves de se réaliser complètement et de prendre conscience de leur potentiel.

En 1879, Calvin M. Woodward, directeur du département de polytechnique à la Washington University de St. Louis, ouvrit la Manual Training School pour les garçons. Les programmes comprenaient les sciences, les mathématiques, la littérature, l'histoire, le dessin ainsi que l'enseignement technique. Pour Woodward, cet enseignement devait également restaurer la valeur et la dignité du travail manuel, permettant également aux élèves de faire le lien entre le savoir et la réalisation. Dans les établissements américains, le niveau intellectuel des enseignements techniques était très élevé, préparant pour l'université. Recevant un support important, les cours de travaux manuels se développèrent très rapidement. En 1900, plus d'une centaine de villes le proposaient. Progressivement, l'éducation technique fut acceptée au sein du système scolaire et éducatif américain.

Si les écoles ne comportant qu'une seule salle de classe (one-room school) ont longtemps été la norme aux Etats-Unis, hébergeant de 30 a 40 jeunes élèves de tous âges sous la direction d'un seul professeur, l'augmentation très importante du nombre d'élèves a la fin du 20e siècle mit fin a cette tradition. Le gouvernement fédéral et les différents Etats mirent l'accent sur la création de nouveaux établissements comprenant différentes salles de classe, certains groupes scolaires possédant des cette époque des cantines et des gymnases. Traduisant les besoins différents en fonction des âges, les élèves furent progressivement séparés selon les années de naissance. Au départ, certaines petites écoles groupaient ensemble les niveaux (grades) 1 (CE1 en France), 2 et 3, tout comme les niveaux 4, 5, 6, 7 et 8 (fin du collège, troisième en France). Si certains élèves désiraient poursuivre leur cursus, ils intégraient les universités. Complétant cette division, les professeurs furent de plus en plus formés afin d'enseigner a chaque groupe d'élèves les contenus pédagogiques appropriés a leur niveau scolaire. Cette division des élèves par âge reste encore effective aux Etats-Unis aujourd'hui car elle permet de cibler plus précisément les attentes et les enseignements

Très souvent, la situation dans les écoles reflète la société environnante. Aux Etats-Unis, au cours du 19e siècle, de très nombreuses lois ségrégationnistes furent adoptées dans les Etats du Sud afin d'empêcher le mélange entre Blancs et Noirs, car la mixité des " races " était redoutée par les Blancs, qui craignaient de perdre leur " pureté. " En Floride en 1887, puis en 1890 en Louisiane, l'Etat adopta une loi (Separate Car Act) imposant que les compagnies de chemin de fer transportant des passagers en Louisiane, soit affectent différentes voitures aux personnes de différentes races, soit installent dans les voitures une séparation adéquate entre compartiments affectés aux deux races. La race blanche s'entend alors, en Louisiane, comme l'absence d'ancêtre noir, tout métissage reléguant dans la race noire. Les passagers doivent utiliser les voitures et compartiments qui leur sont réservés, sous peine d'une amende de vingt-cinq dollars ou de vingt jours de prison.

Afin d'obtenir l'invalidation de la loi pour les transports à l'intérieur de l'État, et plus largement de mettre en cause la ségrégation dans son ensemble sur le plan constitutionnel, Homer Plessy accepte d'enfreindre la loi, pour porter la question devant les tribunaux. Plessy est " d'ascendance mêlée, pour sept huitième caucasien, et pour un huitième de sang africain, et la présence de sang coloré n'est pas discernable en lui " [19]. Pour la loi de Louisiane, c'est un Noir. Le 7 juillet 1892, il s'installe dans une voiture réservée aux Blancs, alors qu'on a veillé à ce que la compagnie de chemins de fer connaisse sa qualité de métis. Il refuse d'obéir au contrôleur qui lui demande de se déplacer. Il est expulsé du train et arrêté. Le cheminement légal de l'affaire est complexe. Plessy est poursuivi devant la cour de district de la Nouvelle Orléans, qui relève du pouvoir judiciaire de la Louisiane, et non de celui des États-Unis. Le juge John Howard Ferguson préside à l'affaire. La Cour suprême de Louisiane, en accord avec le juge Ferguson, rejette la demande, et affirme la constitutionnalité du Separate Car Act quand il s'applique à des transports qui ne franchissent pas les frontières de l'État. Plessy en appelle à la Cour suprême des États-Unis.

Le 18 mai 1896, la cour Suprême rend son avis, 7 juges étant en défaveur de Plessy, déclarant que la loi séparant les wagons ferroviaires est constitutionnelle, tant que des équipements séparés mais égaux (" separate but equal facilities ") sont fournis par les compagnies. Cette loi s'imposa dans tout le sud des Etats-Unis pour 58 ans, jusqu'a ce que la Cour, jugeant le cas Brown v. Board of Education en 1954 ne revienne sur sa décision. Cet acte judiciaire a marque le système scolaire, renforçant la légitimité de ceux qui prônaient des écoles séparées pour les Blancs et les Noirs. Mais l'égalité restait très théorique car les établissements des Noirs américains étaient très souvent en piteux état (tant au niveau des bâtiments qu'au niveau de la qualité de l'enseignement), traduisant la pauvreté de la communauté noire. Toute tentative pour améliorer cette situation était perçue par certains Blancs comme une violation des barrières raciales et était très violement réprimée (violence soutenus par les membres du Ku Klux Klan, dont le parti renait au tournant du 20e siècle dans le sud des Etats-Unis.) [20]

Ainsi, les hommes politiques tout comme les industriels dirigeant les Etats-Unis au cours de cette période progressiste ont participé à la mise en place de nouveaux standards scolaires, de nouvelles valeurs. La mission intégratrice de l'école en faveur des immigrés (au prix d'un rejet, d'un oubli forcé des racines) a encore été renforcée, confirmant l'importance symbolique du système éducatif dans la création de cette nation. Néanmoins, tous les groupes sociaux n'ont pas été bénéficiaires des avancée sociales car la population noire américaine resta ségrégée, victime du racisme ambiant.

Aujourd'hui (des années 1920 a nos jours). Quel regard sur l'éducation contemporaine ?

Les attentes des parents a l'égard de l'éducation de leurs enfants sont désormais très importantes. Elle peut s'expliquer par leur crainte de ne pas voir leur progéniture s'intégrer dans une société en constant mouvement. Ainsi, au cours du 20e siècle, le système éducatif a continué à se transformer afin de répondre, et parfois de précéder, les attentes du public et/ou de la communauté éducative.

L'éducation aux Etats-Unis est un domaine encore très largement géré par les Etats et encore plus par le niveau local (recrutement des professeurs et des administratifs, financement grâce a des taxes locales…). Néanmoins, au cours du 20e siècle, le gouvernement fédéral a, a plusieurs reprises, apporté une aide financière afin d'aider certains groupes sociaux. Ainsi, après la seconde Guerre Mondiale, les hommes politiques américains ont adopté une série de lois intitulées "G.I. Bill of Rights" afin de permettre entre autre aux vétérans d'avoir accès à une éducation. Plus de 11 millions de jeunes hommes et femmes en ont alors bénéficié. Outre la nécessité morale de récompenser le sacrifice et leur service, le gouvernement utilisa ces lois afin de réintégrer civilement et économiquement ces vétérans. De très nombreux historiens décrivent ce " G.I Bill of Right " comme une des plus brillantes séries de lois jamais adoptés au niveau social et économique, car elles permirent aux jeunes soldats de devenir docteurs, pasteurs, professeurs, avocats…stabilisant ainsi la société américaine [21].

En 1958, le gouvernement adopta un National Defense Education Act (N.D.E.A.) qui augmentait les financements dans les domaines jugés alors cruciaux pour la défense et la sécurité nationale. Cette loi fut la conséquence de la mise sur orbite par les Soviétiques du satellite Spoutnik en 1957. La défaite des Etats-Unis dans la conquête de l'espace provoqua un climat de crise nationale, soulignant les défaillances des élèves américains en mathématique et science. Le N.D.E.A., soutenu pour la communauté scientifique et les spécialistes de l'éducation permit de reformuler les programmes, surtout au niveau des lycées, afin de mieux former les futurs ingénieurs (et de rétablir l'orgueil national) [22].

Moins connu mais tout aussi essentiel, le programme fédéral Elementary and Secondary Education Act (E.S.E.A.) adopté en 1965 donna la possibilité au gouvernement de tenter de répondre financièrement aux inégalités de la société. A la fin des années 1950, des études scientifiques soulignèrent les difficultés scolaires rencontrées par les enfants de la communauté noire américaine ainsi que ceux des autres minorités, vivant dans des centres-villes désertés par les classes moyennes. Ce programme, s'inscrivant dans la " Guerre contre la Pauvreté " du président Lyndon Johnson, encouragea la mise en place de cours spéciaux pour les jeunes enfants issus de famille a bas revenus. Immédiatement pourvu d'un milliard de dollars, le E.S.E.A. a permis d'améliorer les conditions d'apprentissage des jeunes élèves en difficulté, mais également de tous les enfants. Néanmoins, de nombreuses critiques se sont élevées car les élèves ne recevaient généralement cette aide financière et scolaire que pour un ou deux ans alors qu'il aurait fallu une plus grande continuité. De plus, ces programmes n'ont que peu réussi à améliorer les résultats de ceux qui étudiaient dans les écoles des centres-villes.

Outre l'implication financière du gouvernement fédéral dans le système éducatif, les années 1950 furent également le théâtre d'une autre (r)évolution, celle de la fin de la ségrégation dans les écoles américaines. La carte ci-dessous traduit la réalité de la ségrégation, la géographie d'un système raciste avant son abolition seulement au milieu du 20e siècle. La séparation apparait très nettement entre les Etats du Nord, dans lesquels cette séparation entre Blancs et Noirs était interdite, et les Etats sudistes, au sein desquels les traditions d'esclavages et de domination des Noirs ont conduit à perpétuer cette discrimination volontaire:

En 1950, dans l'Etat du Kansas, le père de Linda Carol Brown, jeune fille noire de 7 ans, refusa d'inscrire sa fille a Monroe School, située a East Topeka (une des quatre seule école noire de la ville) car elle était située a plus de 20 pâtés de maison de leur domicile. Il tenta de l'inscrire dans une école uniquement réservée aux Blancs mais plus proche et essuya un refus. Soutenu par la National Association for the Advancement of Colored People, il porta cette inégalité devant la justice, dans le cas désormais célèbre "Brown v. the Board of Education" afin de mettre un terme a une ségrégation légalisée depuis la fin du 19e siècle par l'arrêt " Plessy vs Fergusson ".

La cour Suprême, le 17 mai 1954, déclara a l'unanimité que dans le domaine de l'éducation publique, la doctrine 'séparée mais égal' n'avait pas sa place : " séparer les équipements scolaires est intrinsèquement inégal. " [23] Désormais, les districts scolaires devaient cesser toute ségrégation. Décision légale certes, mais qui allait a l'encontre des sentiments racistes et des traditions scolaires de certaines communautés dans le Sud, qui depuis leur création avaient discriminé les Noirs. En 1957, les troupes fédérales eurent à escorter 9 jeunes enfants noirs à l'intérieur du lycée de Little Rock, dans l'Arkansas.

Elizabeth Eckford est injuriée par une femme alors qu'elle se rend a Central High, a Little Rock.

Les 9 élèves noirs durent être protégés des injures et des coups de parents refusant cette déségrégation. Progressivement, les établissements se sont ouverts à tous, même si en 1979, Linda Brown Thompson intenta un procès au district de Topeka qui restait ségrégé. Ainsi, sans régler tous les problèmes, la décision de la Cour Suprême en 1954 fut une première étape mettant fin, théoriquement, aux inégalités " raciales " dans le système scolaire américain.

Une des dernières reformes majeures qui affecte encore aujourd'hui le système éducatif américain fut instaurée dans les années 1980. L'opinion publique exprimait une insatisfaction générale a l'égard du système scolaire public et commençait à s'inquiéter de la baisse (fictive ou réelle) du niveau d'éducation des nouvelles générations. Afin de mesurer la réalité de cette perception, le secrétaire d'Etat à l'éducation Terrel Bell forma une commission qui, pendant 18 mois, a auditionné et étudié le système secondaire aux Etats-Unis. Les conclusions du rapport, intitulé A Nation at Risk, publié en 1983, soulignèrent les faiblesses du système éducatif américain ainsi que le risque, principalement économique, qui menaçait le maintien de la suprématie intellectuelle, financière et industrielle du pays. Le rapport explique que " près de 23 millions d'adultes américains seraient déclarés illettrés s'ils passaient un simple test de lecture, écriture et compréhension ayant trait à la vie quotidienne. Environ 13% des jeunes de 17 ans peuvent être considérés comme illettrés. " Près de la moitie des élèves étaient incapable de placer correctement sur une carte un pays européen [24]. Les rédacteurs du rapport mettaient l'accent sur la manière dont le processus d'éducation était mené, blâmant ainsi les professeurs, car les élèves américains étaient ceux qui, comparé aux autres nations passaient le moins de temps à travailler a la maison. Cette étude a été depuis nuancée par certains historiens car, dans les années 1980, environ 85% des élèves obtenaient un diplôme a la fin de leurs études secondaires. Néanmoins, les médias ont volontairement noirci le tableau, dans le but d'effrayer le public et de le rendre favorable aux réformes voulues par le président républicain Ronald Reagan.

Le rapport suggérait de réformer les programmes scolaires en incluant désormais 4 années d'anglais, 3 années de mathématiques, de sciences et de " social studies " (équivalent américain de l'Histoire et de la Géographie en France) ainsi qu'un semestre d'informatique. Des indications très précises étaient données aux professeurs afin de faire accéder leurs élèves a l'Excellence, définie selon la National Commission on Excellence in Education par des attentes intellectuelles très élevées tout en donnant aux élèves les moyens de les atteindre. La commission a aussi statué sur le métier d'enseignant, suggérant une refonte des études pour devenir enseignent ainsi que de la pratique elle-même. Elle remettait également en cause les qualifications des instructeurs au sein des Colleges of Education, jugés peu qualifiés, tout en encourageant une augmentation du salaire des professeurs afin d'attirer et de conserver les enseignant les plus qualifies, payés au mérite [25]. De très nombreux enseignants se sont opposés à ces mesures perçues comme injustifiées et imposées par des individus sans lien avec la communauté éducative.

Ces mesures ont toute été liées à la notion américaine d' " accountability " (rendre des comptes) dans un contexte économique global de dérégulation, de compétition. Le gouvernement Reagan désirait mesurer les efforts fournis par les écoles afin de récompenser les plus brillants établissements tout en menaçant les plus faibles de fermeture, comme les entreprises les plus faibles succombent sous le marché. Désormais, de très nombreux tests, dont l'Ohio Graduation Test dans l'Ohio (passé par les classes de seconde), permettent de mesurer les niveaux scolaires des élèves mais mettent également en compétition les écoles, les districts. Les résultats sont publiés sur internet et dans la presse, permettant aux parents de choisir les établissements. De plus, la notion de choix a été adaptée au système scolaire : les parents qui peuvent le financer ont la possibilité de retirer leurs enfants de l'école locale afin de les placer dans un établissement de leur choix, public ou religieux. Grace à cette nouvelle liberté éducative, de très nombreuses écoles se sont développées. Environ 200 écoles (dans les Etats du Maryland, de Baltimore) sont dirigées par des compagnies privées liées par contrat (même si 90% des élèves en 2000 sont inscrits dans des écoles publiques). Les institutions religieuses ont été surtout favorables au " home schooling " (école a la maison). Néanmoins, les études semblent montrer que ces écoles alternatives ne permettent pas aux élèves de mieux réussir les tests.

Etape majeure dans cette étude de l'Histoire de l'éducation américaine, le rapport A Nation at Risk, publié en 1987 a complètement transformé la finalité de l'enseignement, sa dynamique interne. La loi No Child Left Behind adoptée par l'administration Bush en 2001 accentue encore cette volonté de traçabilité, de rendre des compte. La dialectique du choix, de la mise en compétition des établissements scolaires illustre très concrètement le lien qui, aux Etats-Unis, unit la démocratie, l'institution scolaire et le capitalisme.

 

Cette analyse de l'Histoire de l'éducation aux Etats-Unis ne se veut en rien exhaustive. Elle a eu pour objectif principal de mettre en lumière quelques transformations matérielles et théoriques, de présenter certains personnages essentiels dans la construction de la pédagogie et de l'éducation, d'expliquer quelques événements clés qui peuvent en partie permettre de comprendre la situation actuelle du système scolaire américain. Les évolutions ont été nombreuses et les problématiques abordées restent encore des motifs de tension. La place de la religion au sein des écoles, l'intégration des immigres, la multiplication des tests ou encore la philosophie même de l'enseignement sont autant de thèmes qui divisent la communauté éducative. De nouveaux défis semblent attendre l'école américaine : comment intégrer un nombre croissant d'élèves appartenant a la communauté hispanique, apportant avec eux des valeurs différentes de celles des Peres Fondateurs ? Comment aborder la compétition commerciale mondiale face à la Chine ou déjouer les pièges du terrorisme international alors que très peu d'Américains parlent couramment des langues étrangères ? L'aptitude des Etats-Unis à rester une grande puissance dépend peut être de sa capacité à adapter son système éducatif aux évolutions d'un monde en mouvement.

Ramassage scolaire dans les années 1900.

" School bus " en 1950.

Par Aurélien

[1] Barnard, John and David Burner, The American Experience in Education, 1975. New Viewpoints, (a Division of Franklin Watts, Inc.), NY.

[2] Pruitt, Anne S., In Pursuit of Equality in Higher Education, 1987. The Southern Education Foundation, Inc., General Hall, Inc., Dix Hills, NY.

[3] Tomas Jefferson, "A free society could not survive without educated people." The American School in Transition, William Drake.

[4] ENCYCLOPEDIA OF EDUCATION. vol. 8. U. S. Macmillan, pp. 543-546.

[5] "Only the classical languages could provide the necessary disciplines and furniture of the mind." Yale Report en 1928.

[6] The American School in Transition, William Drake.

[7] Ornstein, Allan C. and Daniel U. Levine. FOUNDATIONS OF EDUCATION. 5ed. Boston: Houghton, 1993. p. 179.

[8] Macmillan, A History of American Education. Pages 45-67.

[9] Macmillan, A History of American Education. Pages 45-67.

[10] Harper, Charles A., A Century of Public Teacher Education, 1970. Greenwood Press, Publishers, Westport, CT, pages 80-119.

[11] Rapport rédigé par la cour de Kalamazoo, dans le Michigan, en 1875.

[12] Harper, Charles A., A Century of Public Teacher Education, 1970. Greenwood Press, Publishers, Westport, CT, pages 120-150.

[13] Idem, pages 150-189.

[14] Turning Points in American Educational History, David B. Tyack.

[15] Clark. African American Political Thought, pages 244-245.

[16] Westbrook Robert. "Schools for Industrial Democrats: The Social Origins of John Dewey's Philosophy of Education," American Journal Of Education, August 1992 "The remedy for the evils of the control of the schools by politicians is not to have one expert dictating educational methods and subject matter to a body of passive recipient teachers, but the adoption of intellectual initiative, discussion and decision throughout the entire school corps."

[17] Macmillan, A History of American Education. Pages 70- 86.

[18] Macmillan, A History of American Education. Pages 150-175.

[19] Clark. African American Political Thought, pages 267.

[20] Clark. African American Political Thought, pages 260-284.

[21] Macmillan, A History of American Education. Pages 189-193.

[22] Macmillan, A History of American Education. Pages 205-207.

[23] Declaration de la Cour Supreme des Etats-Unis, le 17 Mai 1954, dans le cas Brown contre Board of Education ""To separate [elementary- and secondary-school children] from others of similar age and qualifications solely because of their race generates a feeling of inferiority as to their status in the community that may affect their hearts and minds in a way unlikely ever to be undone. We conclude that in the field of public education, the doctrine of 'separate but equal' has no place. Separate educational facilities are inherently unequal."

[24] A Nation At Risk: The Imperative For Educational Reform. Washington D.C.: The Commission on Excellence in Education, 1983, page 5. "If an unfriendly power had attempted to impose on America the mediocre educational performance that exists today, we might well have viewed it as an act of war. As it stands, we have allowed this to happen to ourselves. We have even squandered the gains in achievement made in the wake of the Sputnik challenge. Moreover, we have dismantled essential support systems which helped make those gains possible. We have, in effect, been committing an act of unthinking, unilateral educational disarmament."

[25] Idem.

 

 

 

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