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Les fonctions et le statut des enseignants dans la communauté éducative.

L'exemple de la Springfield High School (Akron, OH).

Le fonctionnement des high school américaines dépend des attentes spécifiques que la société formule à propos de l'école. Ainsi, l'efficacité, l'esprit de compétition, la polyvalence sont les valeurs privilégiées, transmises par l'institution scolaire aux Etats-Unis. De fait, les enseignants jouent un rôle central dans le développement et la transmission de ces valeurs. Aborder le problème de la forme de l'institution scolaire aux Etats-Unis appelle à l'étude des fonctions et du statut de l'enseignant comme angle d'attaque. Les enseignants des high schools américaines occupent un rôle polyvalent au sein de leur établissement. Bien plus que d'uniques pourvoyeurs de savoir, les professeurs américains se situent au cœur de la communauté éducative, notamment à travers les fonctions d'encadrement sportif. Pour mener cette étude de la manière la plus complète possible, il convient de développer les aspects des fonctions de l'enseignant selon trois points. D'abord nous définirons le statut du professeur, à travers son bagage universitaire et ses obligations contractuelles. Ensuite, nous tacherons d'analyser les pratiques enseignantes au quotidien, en s'interrogeant sur les méthodes de travail employées et les rapports aux élèves. Enfin, nous aborderons les fonctions de l'enseignant en dehors de ses temps d'enseignement, entre ses obligations de service et ses activités parascolaires au sein de la communauté éducative.

Le statut universitaire et juridique

A travers l'exemple de mon tuteur, Mr Bill Burket (professeur de Social Studies), nous étudierons le bagage universitaire minimum requis et ses évolutions. A l'échelle de Springfield High School, nous analyserons les spécificités du contrat de travail des enseignants.

Pour être enseignant dans l'Ohio, le diplôme universitaire minimum est le Bachelor of Arts. Ainsi, comme en France, il n'est guère besoin de plus qu'une licence pour pouvoir devenir enseignant dans le secondaire. Mr Burket est, de plus, titulaire d'un Bachelor of Arts en histoire et d'un Master of Arts en sciences de l'éducation, spécialisé dans l'enseignement secondaire. Le bagage universitaire de Mr Burket l'autorise, par la loi de l'Etat, à enseigner plusieurs disciplines, à tous les niveaux de la high school. Il peut ainsi prendre en charge les cours d'anthropologie, d'économie, d'histoire (régionale, américaine, mondiale et européenne), de géographie, d'institutions américaines, de psychologie, de psychologie sociale et de sociologie. La polyvalence de Mr Burket correspond donc à la complémentarité de ses diplômes universitaires.

Pour enseigner, les futurs professeurs ont, de plus, besoin d'un examen spécifique, reconnaissant leurs qualités pédagogiques. Dans ce domaine, une évolution notoire est à observer. A l'époque où il est devenu professeur, Mr Burket pouvait choisir entre trois types d'examens, correspondant à trois types de contrats : le Permanent, dont il est titulaire, débouche sur un contrat à " durée indéterminée ", le Professional offre un contrat de huit ans renouvelables et le Limited est un contrat de quatre ans renouvelables. Ces trois types d'examen-contrat n'existent plus aujourd'hui. Ils sont remplacés par un contrat unique : le License, de cinq ans, renouvelables, à condition d'être reçu au terme du contrat à un examen général, vérifiant les savoirs théoriques et validant les compétences professionnelles par une visite dans la classe (le Praxis III). Le statut de Mr Burket ne reflète donc pas celui des enseignants américains récemment diplômés, dont la carrière se lance sur une dynamique de court terme, dans une logique de productivité (si l'on considère que le professeur doit " progresser " pour se voir prolonger son contrat).

Le contrat de travail, qui définit les statuts des enseignants, lie directement le professeur avec son établissement (le contrat stipule qu'il est établit : " between the Springfield local association of classroom teachers and the Springfield local school district board of education ") [1]. Il est, en outre, valable pour une durée déterminée. Dans le cas de Springfield, le contrat en cours a débuté le 21 aout 2004 et prend fin le 20 aout 2007. Ce contrat définit les obligations de service du professeur, le calendrier, les possibilités de congé ou les salaires. Ainsi, de nombreux aspects du quotidien des enseignants sont définis par le contrat liant les deux parties. L'article 9.03 limite, par exemple, à vingt-six le nombre d'élèves par classe, du seventh grade au twelfth grade (de la 5e a la Terminale). Ce contrat définit, en outre, la grille salariale. Cette dernière dépend à la fois du nombre d'années d'expérience et du niveau universitaire. Ainsi, Mr Burket, situé au treizième échelon d'ancienneté et titulaire d'un master, touche 66 070$ bruts par an. Un enseignant seulement titulaire d'un Bachelor of Art, au premier échelon d'ancienneté touche 33 347$ bruts par an ; un professeur titulaire d'un doctorat, situé sur le vingt-cinquième échelon d'ancienneté (le maximum), touche, lui, 74 254$ bruts par an. Cette manière de contractualiser les obligations de l'enseignant montre donc le fort ancrage dans un environnement à grande échelle. Le professeur américain est juridiquement lié à son établissement, ce qui renforce sans doute son attachement professionnel exclusif à la high school.

A partir des considérations uniquement administratives, nous pouvons donc observer que les enseignants américains sont situés au cœur d'un système largement flexible. La diversité de leurs qualifications leur permet d'élargir leur champ d'enseignement. En outre, la précarité des contrats permet la possibilité de reformuler régulièrement (tous les trois ans dans le cas de Springfield) les droits et les devoirs des enseignants.

Les pratiques enseignantes

La transmission du savoir aux Etats-Unis s'opère par des méthodes sensiblement différentes de celles observées en France. Les exigences de l'institution se situent en effet plus dans l'objectif à atteindre (l'examen final) que dans l'enseignement des connaissances pour elles mêmes.

Le cycle de travail et le rythme sont fondés sur la recherche de visibilité dans les pratiques. Ainsi, très peu de travaux à la maison sont demandés aux élèves. Après les cours, transmis sous forme de Powerpoint (le but est de s'assurer de la qualité de la trace écrite chez les élèves), Mr Burket donne un exercice, sous forme de questions ou de tableau à remplir, en relation avec ce qui vient d'être vu. Ceci donne lieu à une évaluation. Apres chaque chapitre, fidèlement enseigné à partir du manuel, une évaluation sommative générale est donnée. Environ deux séances de révisions sont consacrées entre la fin du cours et ce test. Les élèves n'ont donc pas à réviser à la maison.

L'intégralité des travaux exigés et nécessaires à l'assimilation des connaissances et des savoirs faire est dès lors effectuée en classe. Ce principe se fonde, selon Mr Burket, sur une remarque " s'ils ne le font pas ici, ils ne le feront jamais ". Le cycle cours-révisions-test rythme donc l'année scolaire des élèves, en Social Studies (les autres professeurs de Social Studies, MM Graves, Bosko et Warnick travaillent selon les mêmes principes). Ce cycle est, en outre, facile à mettre en place du fait du caractère identique des emplois du temps chaque jour. Du lundi au vendredi, chaque élève suit les même cours à la même heure. La structure horaire d'une semaine-type donne donc à l'enseignement aux Etats-Unis une dimension taylorienne, qui permet visibilité et efficacité dans la perspective des examens (OGT ou Graduation).

Les enseignants travaillent, de plus, dans une ambiance singulière, définie par la taille des classes (environ vingt élèves par classe chez Mr Burket) et les rapports communautaires qui lient élèves et professeurs. La relation " classique ", distanciée, entre élèves et professeurs reste le socle du lien entre les deux parties. Cependant, les classes plus petites, et surtout la nature communautaire de la structure scolaire donnent lieu à une forme de proximité que l'on ne connait pas en France. Ainsi, les élèves sont connus pour leurs participations, voire leurs bonnes performances dans le domaine sportif (il peut s'agir, à Springfield, du basketball ou de la lutte). Les élèves sont donc non seulement liés à l'institution par leur qualité d'apprentis, mais encore les professeurs bénéficient du lien communautaire pourvu par les élèves dans le cadre parascolaire.

La présence des helpers (élèves présents lors de chaque période pour aider un professeur) illustre aussi le caractère hybride du lien élève-professeur. Si l'élève garde clairement son statut d'élève durant la période, son rôle s'apparente à celui d'un adjuvant à la tache enseignante. A la disposition de professeur, il développe alors une relation de partenariat, voire de complicité avec son maître.

Ainsi donc, les pratiques enseignantes semblent adaptées aux spécificités de la société américaine. Les méthodes et le rythme de travail correspondent aux exigences presqu'exclusivement pragmatiques d'obtention d'un diplôme. En outre, le lien communautaire qui fonde la société américaine est aussi la base de l'institution scolaire, comme le montre le caractère original du rapport élève-professeur.

Les fonctions extra-enseignantes

Aux Etats-Unis, comme en France, un enseignant ne passe pas l'intégralité de son temps de travail devant les élèves. La spécificité de nombreux professeurs américains réside dans leur forte implication dans les activités extrascolaires liées à l'établissement. Passée la dense journée d'enseignement, les enseignants se consacrent à des occupations, essentielles pour la vie de la communauté éducative [2].

En premier lieu, il convient de souligner que chacune de ces activités est rémunérée sur la base du salaire horaire définit par le contrat [3]. L'attribution d'émoluments pour l'exercice de ce type d'occupations illustre donc l'importance qui leurs sont accordées.

Ainsi, Mr Burket est président du syndicat enseignant de l'établissement. A ce titre, il reçoit 20% du salaire de base, en plus de son salaire de professeur. Ce complément est versé par l'association syndicale. Son activité se traduit par des réunions régulières avec le superintendant (directeur de la cité scolaire) et avec ses collègues. Son principal rôle est d'assurer un dialogue pérenne entre les deux parties, dans la perspective des renégociations régulières du contrat.

Néanmoins, l'activité périscolaire " reine " pour un enseignant américain est l'encadrement d'une équipe sportive. De nombreux enseignants occupent, en effet, le poste de coach dans l'une des équipes de la high school [4]. Ces derniers peuvent, dans ce cadre, augmenter leur salaire d'une somme allant de 9% du salaire horaire de base (pour la coach des pom-pom girls ninth grade) à 20% de celui-ci (pour les coachs de football américain et de basketball, garçons et filles). A l'instar de Mr Andrick, professeur de sociologie et coach des basketteurs, les enseignants investis dans une activité sportive consacrent de nombreuses heures aux élèves sportifs.

Ainsi, ce dernier dirige des entrainements tout au long de l'année, divisée en trois temps. De novembre à février, les joueurs s'entrainent trois heures par jours, six jours par semaine ; en septembre-octobre, puis de mai à juillet, lors de la saison creuse, les entrainements n'ont plus lieu que trois heures par jours, quatre jours par semaine ; enfin, les basketteurs se reposent lors des mois d'aout, mars et avril. L'activité de coach occupe donc une part très importante dans le temps des professeurs concernés. Leur implication dans la communauté éducative, à travers le sport, donne même à leur métier une dimension particulière. Ces enseignants au profil spécialisé bénéficient même d'avantages sur d'éventuels concurrents pour être recruté à un poste dans l'établissement. La qualité de coach est ouvertement une raison qualifiante (ou discriminante) pour accéder à un poste d'enseignant.

Les activités parascolaires se situent donc bien au cœur de la vie de l'établissement. Elles animent de manière dynamique et régulière, tout au long de l'année, la vie de la communauté éducative. Enfin elles impliquent de nombreux élèves et donnent aux professeurs une qualité extra-enseignante qui appartient pleinement à sa fonction et à son statut.

Ainsi donc, les enseignants américains sont fortement impliqués à l'échelle de la communauté, cellule polymorphe et structurante du tissu social américain. Eléments dynamisant du système éducatif, ils doivent former, à plus petite échelle, les futurs citoyens américains. Ils reflètent donc clairement, par leur position dans l'institution scolaire, les attentes que les Etats-Unis formulent sur leur peuple.

En outre, à l'image du système économique, qui définit dans ses grandes lignes les formes de la société américaine, l'enseignement est marqué par la forte proéminence des fins (les examens) sur les moyens (les contenus à assimiler). Placés au cœur de ce système, les enseignants doivent aussi, à travers les activités sportives, former leurs élèves à une culture de compétition qui est supposée leur servir dans la vie professionnelle.

Moins qu'un pourvoyeur de savoir et qu'un pratiquant de la maïeutique socratienne, l'enseignant américain est chargé d'introduire ses élèves dans la société. Lorsque cette dernière affiche comme priorité la recherche du dynamisme économique et de la prospérité de chacun [5], les professeurs doivent former des compétiteurs pragmatiques. Leur statut parait adapté à cette attente.

Par Fabrice H.

[1] Agreement between the Springfield local Association of classroom teachers and the Springfield local school district Board of Education. August 21, 2004 - August 20, 2007.

[2] Les obligations de service a proprement parler ne vont pas au delà de la préparation des cours, l'enseignement et la correction des tests.

[3] 33,347$

[4] Les activités considérées concernent le football américain, le basketball, le base-ball, le football, la lutte, le golf, le volleyball, la notation, le cross-country (pour les deux sexes) et l'encadrement des pom-pom girl.

[5] Introduction au Discours sur l'état de l'Union, 23 janvier 2007.